L’instrument sera présenté pour la première fois le 24 août à l’Abbaye St Pierre de Bèze (Côte d’Or), à l’endroit où Christian Urbita a rencontré, écouté, et parlé à l’épicéa dont est né le violon.
France Musique : Comment est né Dame Aleth, ce violon que vous avez fabriqué pour Renaud Capuçon ?
C’est une histoire assez merveilleuse. L’ancien directeur artistique du festival de Cordes, Yves Petit de Voize, était dans l’abbaye St Pierre de Bèze en Bourgogne, et il me dit : « Tu cherches des sycomores, il y en a un ici qui paraît intéressant ». C’était un arbre magnifique, protégé, dans une abbaye… On peut imaginer tout ce qui s’est passé dans ce parc fabuleux… Je me retourne et, à peine à six-sept mètres, il y avait un épicéa. Quand j’étais en face de l’arbre, j’ai revu Renaud Capuçon quand il venait au festival à 18 ans. C’est drôle, c’est lui qui m’est venu à l’esprit. Je raconte cette histoire à Renaud, que je connais depuis longtemps, et il me dit : « C’est formidable, il faut faire un violon ».
Quelles ont été les étapes pour fabriquer cet instrument ?
J’ai coupé l’arbre fin 2015, et terminé le violon mi-2018. Donc le bois n’est pas encore sec. Pour le stabiliser et maintenir son énergie, je fais des bains avec des plantes qui sont choisies en fonction de l’arbre, du musicien… Je me suis enfermé treize ans dans l’atelier pour retrouver tout ça.
Comment avez-vous trouvé cet équilibre entre l’arbre, les plantes et Renaud Capuçon ?
C’est quelque chose de très simple, mais vous passez toute votre vie à le comprendre. Vous faites le vide dans votre tête, vous ne pensez à rien, et les choses arrivent toutes seules : c’est très simple, et c’est très compliqué (rires). Le violon de Renaud Capuçon, c’est le premier que je fais avec cet arbre et cette méthode, et dès que je mets les cordes, le violon vibre. Quand je l’ai remis à Renaud – c’était le 13 juin – il a joué, et il m’a dit : « Il est timbré, il est puissant », alors que sur les violons que je faisais avant, il fallait faire des raccords, les ajuster. Là, c'est parti tout de suite.
Comme une rencontre ?
Oui, c’est une rencontre entre les deux. Moi je l’ai fait en pensant à Renaud, donc le violon était prêt pour lui. Mais pour lui, ça va être un échange avec le violon qui va mûrir avec le temps. Il ne va pas jouer tout le temps avec, il a un très beau Guarneri, j’ai mis la barre très haute. Cet arbre méritait ça.
Avez-vous toujours travaillé ainsi ?
Non. J’ai commencé mon apprentissage en Allemagne, au milieu des années 1970, et c’est seulement en 2003 que j’ai eu un déclic. Qu’est ce qui fait la différence entre une copie de Stradivarius et un vrai Stradivarius ? Quand on les regarde il n’y a aucune différence. Il y en a un qui va sonner très très bien, et l’autre auquel il va manquer quelque chose. Ce n’est pas une question d’épaisseur, de vernis, de façon de le fabriquer, c’est dans le bois. Je me suis dit : « Il faut arrêter, et chercher l’idée dans l’arbre ».
Chercher l’idée dans l’arbre ?
Les violons, on peut dire quelque part qu’ils sont vivants, alors que beaucoup d’instruments ne sonnent pas parce qu’ils sont – entre guillemets – morts. J’ai appris le ressenti de la vie, la force vitale. On sait qu’un arbre est vivant puisqu’on le voit grandir, et il y a cette force vitale dans l’arbre qu’il faut maintenir. Il faut le couper à la bonne période, quand il est à l’apogée de son activité, de son énergie. Il faut le couper à la bonne lune…
La lune influence la qualité du bois ?
Oui bien sûr. Si vous regardez bien, pendant les périodes de pleine lune, les feuilles sont plus vertes, l’eau qui est dans l’arbre change selon les phases. De même, si on coupe en hiver, quand l’arbre est au repos, il est très dense mais il est à moitié mort. Avant, on le laissait sécher pendant 5, 10, 20 ans… On disait même que 100 ans c’était encore mieux ! Et là, le bois est complètement mort. Essayer de faire un objet actif, vivant, avec un arbre mort, c’est impossible.
Mais travailler avec du vivant, c’est un gros problème. On arrive avec un arbre qui est plein de sève, et il faut savoir le gérer. Il y a des arbres qui ont fermenté, donc ils deviennent verts et perdent leur qualité… A force, j’ai appris comment gérer et maintenir cette énergie dans le bois.
"Quelque part, il y a quelques violons dans un arbre et mon rôle est de savoir où est le violon pour un musicien bien précis."
L’énergie ?
Oui. Quand je vais en forêt, je ressens, j’entends les arbres, ils me parlent (rires). C’est une relation qui se crée. Les arbres, plus ils sont vieux, plus ils sont riches… Ils ont des choses à dire. On a oublié tout ça, mais un arbre entend, écoute, ressent des choses. Il y a des arbres, en fonction de l’endroit où ils ont poussé, qui sont plus ou moins énergétiques. Quelque part, il y a quelques violons dans un arbre et mon rôle est de savoir où est le violon pour un musicien bien précis.
Vous entendez les arbres depuis toujours ?
Non. Avant, je ressentais les choses sans pouvoir les comprendre. J’ai donc rencontré un magnétiseur, on s’est vu régulièrement pendant une dizaine d’années car j’avais du mal à croire en ces choses. Avec lui, j’ai appris à ressentir tout ça. Mais ça m’a pris beaucoup de temps. Je ne suis pas chaman, je suis luthier. Quand on coupe un arbre, il y a un minimum de respect à avoir par rapport à lui, et il faut lui demander, demander à la vie : « Est-ce que je peux te couper ? »
Renaud Capuçon jouera pour la première fois le violon conçu par Christian Urbita, baptisé Dame Aleth, le 24 août à l’Abbaye St Pierre de Bèze. Accompagné du pianiste Guillaume Bellom, le violoniste jouera Debussy, Ravel et César Franck.